Bart de Wever a annoncé la couleur. Si la Région bruxelloise, qui tente péniblement de former un gouvernement, «vient réclamer de l’argent au fédéral, je la mettrai sous tutelle.» Pour Jules Gheude, écrivain et militant wallon, cela sonne comme une remise en question fondamentale de son statut.
L’évolution de la situation vient à point nommé pour que la Flandre remette en question le statut bruxellois de «troisième Région à part entière». Si vous interrogez un Flamand à propos de Bruxelles, il y a de fortes chances pour qu’il vous rappelle que la ville est «historiquement flamande.
Dans son essai La Belgique au défi, paru en 1962, François Perin écrit:
«A l’époque de la révolution de 1830, il y avait 138.000 habitants. D’après le recensement de 1842, plus de 60% de la population s’exprimait en dialecte flamand. Mais la langue de la noblesse, de la bourgeoisie et des cadres administratifs était le français. (…). La masse de la population de Bruxelles était, comme partout ailleurs dans le monde, ignare et en grande partie analphabète. Un patois populaire n’est pas une culture.
Quand les Flamands affirment que Bruxelles est une ville «historiquement» flamande, c’est à cet humus populaire ancien qu’ils sont bien obligés de se référer. Culturellement, cela ne signifie pas grand-chose. De 1830 à 1930, la «francisation» de Bruxelles va donc coïncider, en ce qui concerne sa population autochtone, avec l’élimination de l’analphabétisme et la généralisation de l’enseignement. Les Bruxellois se sont donc francisés, comme les Wallons eux-mêmes, en allant à l’école. Le résultat est que les patois ont régressé. Les flamingants affirment que cette francisation s’est faite sous l’effet de la contrainte et d’une intolérable pression sociale. Cette manière de s’exprimer est le résultat de la projection de leurs sentiments actuels dans un passé qui n’aurait même pas pu concevoir leur état d’esprit d’aujourd’hui.»
Aujourd’hui, la réalité est la suivante: Bruxelles est une ville cosmopolite (on y dénombre 180 nationalités) et 91,7% des déclarations fiscales sont rendues en français.
«Aujourd’hui, la réalité est la suivante: Bruxelles est une ville cosmopolite (on y dénombre 180 nationalités) et 91,7% des déclarations fiscales sont rendues en français.»
Mais c’est aussi la capitale du Royaume et, depuis 1989, une Région à part entière, au même titre que la Flandre et la Wallonie. Qui plus est, une Région enclavée en territoire flamand…
Depuis les élections régionales du 9 juin 2024, la Région bruxelloise n’est toujours pas parvenue à se constituer un gouvernement. Celui-ci doit obligatoirement comprendre, outre un ministre-président, quatre ministres (deux francophones et deux néerlandophones), élus par le Parlement bruxellois.
Le blocage est dû au fait que les socialistes francophones mettent leur veto à la présence des nationalistes de la N-VA au sein de la majorité néerlandophone.
Mais il se fait que c’est l’ancien leader de la N-VA, Bart De Wever, qui se trouve désormais à la tête du gouvernement fédéral. Et l’homme n’est pas de nature à plaisanter: «Si Bruxelles vient réclamer de l’argent au fédéral, je mettrai la Région sous tutelle. Car je poserai des conditions très claires d’assainissement pour arrêter la mal gouvernance bruxelloise. Ils vont évoluer vers une dette de près de 300 % de leur budget. C’est scandaleux!»
«Le blocage est dû au fait que les socialistes francophones mettent leur veto à la présence des nationalistes de la N-VA au sein de la majorité néerlandophone.»
On sait que Bart De Wever est partisan d’une réforme confédérale qui vise à réduire le pouvoir central belge à la portion congrue et à promouvoir deux Etats -un flamand et un wallon- cogérant Bruxelles au niveau des compétences dites «personnalisables»: impôt des personnes, soins de santé,…
On sait aussi que les francophones s’opposent à une telle réforme qui, pour être adoptée, nécessite une majorité des deux-tiers au Parlement. Mais l’évolution de la situation ne vient-elle pas à point nommé pour que la Flandre remette en question ce statut bruxellois de «troisième Région à part entière» pour lequel elle n’a jamais nourri qu’une aversion profonde?
Jules Gheude
Ecrivain et militant wallon