Rudy Léonet est accusé par une dizaine de personnes de management toxique et d’intimidations à l’époque où il dirigeait Pure FM. © Photo News

«Il était surtout violent dans son bureau»: enquête sur le management de Rudy Léonet (RTBF), entre menaces, intimidations et climat toxique

Clément Boileau Journaliste
Ludivine Ponciau Journaliste au Vif

Le Vif a recueilli une dizaine de témoignages faisant état d’un climat de «terreur» au sein de Pure FM (chaîne radio de RTBF, devenue Tipik), lorsque Rudy Léonet, l’animateur de «La semaine des 5 heures», émission non reconduite à la rentrée sur La Première, en était le directeur. Celui-ci conteste tout abus. Plusieurs témoins font toutefois état de séquelles psychologiques graves. Vingt à 25 personnes seraient concernées.

L’annonce récente, confirmée par la RTBF, de la fin de «La semaine des 5 heures», animée sur la Première par Rudy Léonet et Hugues Dayez, a  charrié son lot de mécontentements. Du côté des auditeurs, ainsi que dans le chef de Rudy Léonet, qui voit dans la suppression de l’émission portée selon lui par «de bonnes audiences» une façon de torpiller le «regard critique, indépendant et impartial sur l’actualité culturelle».

Mais au sein de la RTBF, l’arrêt des «5 heures» a aussi eu un autre effet, celui de délier les langues. Celles de nombreux collaborateurs de cette personnalité haute en couleur du monde radiophonique belge, surtout lorsque Rudy Léonet dirigeait Pure FM, un poste qu’il a troqué en 2015 pour celui de coordinateur éditorial «pop culture», une fonction dénuée de responsabilité managériale.

Le Vif a recueilli une dizaine de témoignages portant sur la période 2004-2016. Ils dessinent un profil fort différent de celui de l’animateur donnant du «Mon cher Hugues» (Dayez) ou adressant un petit mot sympathique au technicien qui œuvre chaque soir aux côtés du duo.

«Intimidations» et «climat toxique»

«On a vite compris que c’était du management par la menace, par l’intimidation. Parfois, j’exprimais un désaccord, il disait: « Je me serais trompé en t’engageant? », ce genre de choses», témoigne un ancien de Pure FM. «Dans les couloirs, on l’entendait crier régulièrement sur un collaborateur ou railler quelqu’un pour son look en inadéquation avec l’image de la chaîne. Je ne me rendais pas compte du climat toxique et du harcèlement moral que je subissais. En général, il prenait les gens en « one to one » dans son bureau, afin de diviser pour mieux régner.»

«Quand il vous avait dans le collimateur, ça durait un bout de temps», témoigne un autre interlocuteur qui a pu observer de près le management façon Rudy Léonet. Un autre ancien de la chaîne ajoute: «Il avait ses têtes de Turcs privilégiées.» «On croyait qu’on se détestait les uns les autres. On s’est rendu compte qu’on était tous montés les uns contre les autres. On s’est rappelé ces fois où il hurlait sur quelqu’un et où nous, on regardait nos pieds», abonde encore un autre témoin.

«C’est quelqu’un qui fait beaucoup de compliments, qui te fait voler très haut, et te fait retomber très bas. C’est très violent. T’es isolé, tu parles pas trop à tes collègues.»

«Il disait sans cesse tout et son contraire, de sorte qu’on doutait de sa propre voix. Il était surtout violent dans son bureau, quand il n’y avait personne d’autre. Il soufflait en permanence le chaud et le froid. Il se débrouillait pour faire virer des gens, ou les décrédibiliser, par petites touches, et parfois plus systématiquement», raconte enfin cet autre collaborateur, ajoutant: «C’est quelqu’un qui fait beaucoup de compliments, qui te fait voler très haut, et te fait retomber très bas. C’est très violent. Tu es isolé, tu ne parles pas trop à tes collègues. Quand il n’aimait pas une prestation, il disait que lui n’avait pas aimé, mais aussi que certains collègues avaient trouvé ça nul. Par conséquent, entre collègues, on se regardait en chiens de faïence. Il a semé la zizanie dans l’équipe alors que ça fonctionnait très bien.»

«Terreur» et «représailles»

A plusieurs reprises, un mot revient dans la bouche de nos interlocuteurs: «terreur», et avec elle la peur de représailles. Que ce soit pendant leur passage au sein de Pure, ou plus tard, alors qu’ils n’étaient plus sous les ordres de Rudy Léonet. «C’était un règne par la terreur et l’arbitraire», résume un témoin. «J’avais peur de lui, il m’a toujours fait peur. En société, il est avenant, brillant, il fait bonne figure. Et puis en privé, il casse, en s’arrangeant pour que ce ne soit pas trop salissant pour lui, que ça ne lui pète pas à la figure. Mais encore aujourd’hui, les gens ont peur de lui

«Il a réussi à faire en sorte qu’on ait peur des représailles. Il arrive à s’imposer, il divise pour mieux régner», abonde un autre. «C’est toujours la même technique, au début c’est la lune de miel, puis il attaque, il critique, harcèle, remet en cause les compétences, en parle aux collègues, il triangule. Et nous, on ne prend pas la défense des autres tellement on est content d’être à l’abri. Quand ça arrive aux autres, en fait, on est soulagé que ça ne tombe pas sur soi

Parfois «il allait dire aux collègues à quel point j’étais nul. J’ai failli partir, plusieurs fois, puis je voyais qu’il s’en prenait à quelqu’un d’autre, je faisais le dos rond. A certains moments, j’étais terrorisé, avec le recul il n’aurait rien pu faire. Il a créé un climat de crainte irrationnel», confie ce collaborateur, quand un autre dit avoir découvert, après son passage au sein de Pure, que Rudy Léonet était allé trouver son nouveau chef au sein de la RTBF pour le décrédibiliser.

«Je l’ai un jour entendu dire à un collègue: « Je sais que tu fais le métier de tes rêves. Si tu fais un scandale, je ferai en sorte que tu ne fasses plus jamais de radio de ta vie »», avoue cet autre témoin. «Un autre collègue, qu’il venait de renvoyer, est allé le trouver en lui disant qu’il allait être père quelques semaines plus tard et qu’il n’aurait plus de revenus. Il lui a répondu que c’était d’autant mieux. Un autre jour, encore, il s’est mis à hurler comme un goret dans le couloir, devant l’ascenseur. Une scène folle. Tout le monde en avait peur, au point que certains évitaient de traverser le couloir dans lequel sa photo était affichée. Pourtant, nous n’avons jamais vraiment su à quel point il avait le bras long et s’il aurait pu mettre ses menaces à exécution.»

Séquelles psychologiques graves

«Un jour il vous félicite, et quelques jours plus tard il vous dézingue. Avant de mettre fin à ma collaboration, il m’avait annoncé que j’étais « en sursis », évoque un autre témoin. Je travaillais à la journée et je ne savais pas si cela allait continuer, bien que je recevais des échos positifs sur mon travail. Il m’a également signifié que même si je me montrais irréprochable, cela ne servirait peut-être à rien. Et que si cela ne tenait qu’à lui, il me couperait immédiatement le micro.»

Sans s’appesantir sur les détails, un interlocuteur reconnaît «les situations décrites. Harcèlement, manipulation, monter les gens les uns contres les autres, brutalité psychologique». Ajoutant: «Et je ne fais pas partie des personnes les plus abîmées, les plus détruites.»

Dans nombre de cas, les témoignages font état de séquelles psychologiques graves, même des années après les faits. Certains se disent «travaillés» par leurs rapports avec Rudy Léonet depuis des années, alors même qu’ils ne le côtoient plus. «Cela fait au moins quinze ou 20 ans que cela dure. Nous sommes nombreux à être concernés. Notre entreprise (NDLR: la RTBF) a mis du temps à comprendre, mais aujourd’hui, elle a pris la mesure du problème et du modus operandi utilisé», acte enfin ce témoin, regrettant au passage de «s’être tu longtemps».

Du côté de Reyers, on fait officiellement savoir qu’«aucune plainte formelle pour harcèlement visant Rudy Léonet n’a jamais été introduite auprès de la RTBF», et l’on ajoute que «l’absence de plainte ne nie en rien la possibilité de difficultés relationnelles ou professionnelles. La direction va prendre le temps de l’écoute nécessaire à l’égard des personnes en interne qui souhaitent être entendues.»

Rudy Léonet ne «comprend pas»

Confronté à ces accusations de harcèlement et de management toxique, Rudy Léonet dit «ne pas comprendre» ce qu’on lui reproche et fait valoir qu’aucune plainte ou signalement n’a atterri aux ressources humaines de la RTBF. «Tu peux tout retourner, il n’y a pas une ligne, il n’y a rien.» «C’est hypergrave, je prends ça très au sérieux», dit encore l’ancien directeur de Pure FM, qui mentionne un seul gros problème de management, ancien, avec Jérôme Colin, l’animateur d’«Entrez sans frapper» sur La Première. Pour le reste, il déclare que «des gens se harcelaient entre eux, je devais arbitrer… Ils n’étaient pas toujours d’accord. C’était le job, mais rien qui soit au-delà de ce qui est attendu du job.»

Concernant des faits qui se seraient passés à l’abri des regards, Rudy Léonet est là aussi catégorique: «Justement, pas de « one to one ». Toujours, ça a été fait en présence de mon responsable RH. Je voulais toujours que quelqu’un soit là.» Et quant à dire, en face de la personne concernée, qu’il regrettait de l’avoir engagée? «Ah oui! Mais c’est normal dans n’importe quelle boîte.»

«J’accepte la confrontation avec qui que ce soit», poursuit Rudy Léonet, qui se perçoit comme un «gentil garçon» à la «réputation impeccable», certes «clivant à l’antenne». Proposant au passage de contacter d’autres collaborateurs –il a fourni au Vif une liste d’une quarantaine de personnes– à même de témoigner de la normalité de son management.

Des «fantômes»

Le Vif s’est donc entretenu avec une demi-douzaine de ces contacts, dont certains ont étroitement travaillé avec lui à Pure. «Je travaille régulièrement avec Rudy depuis 1991 en tant qu’ingénieur du son, d’abord à Radio 21 puis à Pure FM où il fut mon « patron » (comme j’aime encore l’appeler) et enfin sur le projet « 5 heures »», témoigne Laurent Lacroix, qui affirme l’avoir «toujours vu prêt à aider les débutants que ce soient des artistes, des animateurs ou des collaborateurs. Il est exigeant, mais dans le bon sens du terme, au profit de la bonne réalisation du projet». Et d’ajouter: «Je n’essaie pas de dire que c’est un homme parfait, il ne l’est pas. Comme tout le monde, il a ses défauts et ses faiblesses, ses humeurs aussi, mais quand nous n’étions pas d’accord il a chaque fois pris le temps d’expliquer ses choix et décisions

Il est exigeant mais dans le bon sens du terme, au profit de la bonne réalisation du projet.»

«Je n’ai jamais eu le moindre problème avec lui, au contraire», témoigne encore cette ancienne voix de Pure, qui a certes pu constater des «tensions», sans toutefois les qualifier de «harcèlement». «Je vous dis juste que c’est un mec bien», assure également cet autre interlocuteur, qui s’étonne, tout comme Rudy Léonet, du timing et du contexte dans lequel sortent ces témoignages, juste après l’annonce de l’arrêt des «5 heures».

Hugues Dayez, enfin, le partenaire de 30 ans de Rudy Léonet, s’enquiert pour sa part d’«un article à charge contre lui, le décrivant comme un patron tyrannique de Pure FM et je ne sais quoi d’autre. Je collabore avec Rudy depuis 30 ans; je suis journaliste nommé à la RTBF. Croyez-vous vraiment que je travaillerais avec l’individu que vous vous apprêtez à décrire? Croyez-vous que je suis crédule ou débile?», s’emporte-t-il, distinguant dans ces témoignages «des morts-vivants qui sortent du sol». «D’une manière ou d’une autre, c’est téléguidé!», assure-t-il.

«Tout est faux», répète Rudy Léonet, s’étonnant pour sa part de l’apparition de «fantômes d’il y a dix ans» qui invitent selon lui à s’interroger. «A qui profite le crime?», demande-t-il. Lui qui n’est pas en reste question cinéma conclut, non sans ironie: «J’ai l’impression d’être dans un film.»

Ce très cher Rudy

Des animateurs devenus «trop encombrants, trop vieux, trop mâles cisgenres, trop blancs et hétéronormatifs». Dans un post publié sur Facebook et Twitter, Rudy Léonet avance d’autres raisons que l’argument économique justifiant sa mise à l’écart des ondes de la RTBF. Lui et Hugues Dayez, formule-t-il, incarnaient «une voix dissonante, un espace de réflexion libre dans un paysage médiatique de plus en plus polarisés».

Des animateurs sans langue de bois que la direction, imprégnée d’un dogmatisme ronflant, aurait écartés en dépit d’excellentes audiences en radio (9,6% de part de marché) et en podcast (deuxième émission la plus populaire pour toute la RTBF avec 1,25 million d’écoutes/téléchargements).

Des sources internes de la RTBF assurent pourtant que la qualité de l’émission et le professionnalisme de ses animateurs n’ont jamais été remis en cause, que leur liberté de ton n’a jamais été entravée. Qu’il était cependant nécessaire de tenir compte du fait que «La semaine des 5 Heures» perdait du terrain face à d’autres podcasts et se classait en sixième position après «Les clés», «Les coulisses du pouvoir», «L’Heure H», «Les séquences de matin Première» et «Un jour dans l’histoire», selon les chiffres CIM de février 2025. Tenir compte également du coût trop élevé de sa réalisation, en grande partie lié à la rémunération (500 euros par émission) de l’animateur pensionné depuis peu (et qui n’était donc plus sur le payroll de la RTBF), alors qu’aucun travail de production ne lui était demandé.

Il nous revient également que des propositions de collaboration ont été envisagées, apparemment rejetées par l’intéressé. Concernant l’émission, le coût ne se justifiait plus dans le contexte économique, nous est-il également revenu, conduisant à cette décision prise «par souci d’équité avec d’autres collaborateurs» moins rémunérés alors qu’ils fournissaient un travail plus conséquent.

Dès décembre, Rudy Léonet et Hugues Dayez auraient été prévenus que la décision de «réduire la voilure» avait été prise. Rudy Léonet aurait alors proposé, selon ses dires, une baisse volontaire de 12% de sa rémunération pour s’aligner sur les efforts de l’entreprise mais n’aurait reçu aucune réponse de la part de celle-ci. Un geste de sa part que ne confirme pas la RTBF.

Il nous revient, enfin, que lors de son arrivée en tant que chef éditorial de La Première, Franck Istasse avait été averti des problèmes relationnels entre Rudy Léonet et certains membres de son équipe. Mais étant donné que l’ex-directeur de Pure FM n’occupait plus de fonctions managériales depuis 2015, qu’il n’avait personnellement été témoin d’aucun fait et que la volonté de La Première était de développer l’offre de podcasts, Franck Istasse avait fait le choix de travailler avec lui.

 

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire

OSZAR »