David Clarinval dans un centre de distribution de la chaîne Delhaize. En 2023, la firme annonçait franchiser l’ensemble de ses magasins. Un modèle qui correspond finalement assez bien au projet de flexibilisation du travail auquel aspire le ministre de l’Emploi. BELGA PHOTO BENOIT DOPPAGNE © BELGA

Comment l’Arizona veut faciliter les licenciements: «David Clarinval choisit le clan des entreprises»

Sylvain Anciaux

Une fois la réforme du chômage votée, l’Arizona s’attaquera à changer le monde du travail, et surtout du licenciement. Le texte devrait arriver «dans les semaines à venir» au Parlement.

Nombreux pensaient la réforme des allocations de chômage comme la pièce maîtresse du gouvernement Arizona, mais celle du travail annoncée par David Clarinval (MR) dans les colonnes du Soir ce week-end promet une fameuse tempête libérale. Le ministre de l’Emploi a annoncé une «modernisation profonde du marché du travail, qui passe par beaucoup plus de flexibilité». Le menu: extension et facilitation des heures supplémentaires, réintroduction de la période d’essai (qui permet un licenciement sans préavis), suppression d’un des trois jours de congés maladie sans certificat, des horaires de travail non plus calculés à la semaine mais au mois voire à l’année et, surtout, la limitation à un an des indemnités de licenciement à six mois pour les candidats non élus aux élections sociales et un an pour les autres.

Actuellement, cette mesure permet à une personne licenciée de bénéficier de son salaire (souvent sans devoir travailler) pendant deux ans maximum. Dans les faits, il n’est pas acquis naturellement qu’un travailleur viré bénéficie de telles indemnités puisque, pour l’heure, il doit avoir presté près de 20 ans pour toucher l’équivalent d’un an de salaire en indemnités de licenciement. A noter par ailleurs que la mesure voulue par David Clarinval et l’Arizona ne concernera que les contrats signés après son vote. Quand? Les textes sont en cours de rédaction, assure le cabinet du ministre, et ceux-ci devraient arriver dans les prochaines semaines sur les bancs parlementaires.

«Un double coût pour les entreprises»

En avril dernier, le secrétariat social SD Worx publiait une étude indiquant que les travailleurs belges étaient les plus loyaux d’Europe. Une loyauté qui profite aux entreprises «puisqu’on constate une baisse de productivité de 40% chez un travailleur sous préavis de licenciement, et plus encore chez un pré-pensionné», remarque Vincent Vandenberghe, économiste à l’UCLouvain, qui évoque un «double coût» pour les entreprises qui licencient. «Le préavis des travailleurs licenciés bénéficie en revanche aux entreprises qui recrutent ceux-ci, moins amochés par une période au chômage».

Pourtant, à travers le catalogue de mesures annoncé par David Clarinval, l’Arizona ne penche pas vraiment vers une flexibilisation du marché du travail, de l’auto-entrepreneuriat et du dynamisme du travailleur, constate le directeur du Crisp, Jean Faniel. «David Clarinval choisit le clan des entreprises plutôt que celui des salariés, ce qui n’a rien de surprenant dans le logiciel du Mouvement Réformateur. Par exemple, le ministre n’a pas abordé une éventuelle réduction du délai de préavis pour le travailleur qui poserait sa démission.» Actuellement, un employé qui a travaillé un an pour une entreprise doit, par exemple, prester quatre semaines avant de quitter l’entreprise. A partir de huit ans, ce préavis monte à treize semaines.

Une usine à chômeurs?

La FEB (Fédération des entreprises de Belgique), en tout cas, s’est réjouie de ces «mesures nécessaires pour parvenir à un marché du travail plus moderne et plus efficace». Ceci dit, le directeur général du Crisp estime que le plafonnement à deux années de salaire pour les indemnités de licenciement ne dissuade pas les entreprises de licencier, Audi Forest avait d’ailleurs proposé jusqu’à 400.000 euros d’indemnités de licenciement pour les travailleurs présents depuis plus de 30 ans. «Puis, si le licenciement d’un travailleur installé depuis longtemps coûte trop cher, l’ajustement se fera sur le personnel plus jeune ou mènera à un gel de recrutement», ajoute Vincent Vandenberghe.

«Il y a tout de même un sens économique de ne pas mettre les gens à la porte du jour au lendemain.»

L’Arizona, qui vise un taux d’emploi de 80%, est-elle en train de fabriquer des usines à chômeurs? «Il existe néanmoins des pays où les périodes de préavis sont beaucoup plus courtes voire inexistantes, tempère l’économiste. Ceux qui ne travaillent pas savent déjà qu’ils n’ont pas intérêt à temporiser entre deux boulots. S’il est contre-productif de surprotéger un travailleur, il y a tout de même un sens économique de ne pas mettre les gens à la porte du jour au lendemain. Cela offre la possibilité de se retourner.» Vincent Vandenberghe concède qu’il est probable qu’une telle mesure «ramène sur le marché du travail une certaine quantité de personnes», autrement dit des chômeurs, le tout sera d’éviter l’inadéquation entre les profils délivrés et les emplois disponibles. C’est, somme toute, la règle de l’offre et de la demande qui va s’installer. Une doctrine à laquelle l’Arizona croît fermement.

Politiquement, Vooruit doit éviter la raclée

Cet hiver, les socialistes flamands ont pris leur courage à deux mains en montant dans un gouvernement qui n’avait pas grand chose (si ce n’est rien) de socialiste. Ils ont bataillé pour accoucher d’une déclaration de politique générale pas trop à droite, et ils bataillent encore pour faire valoir leurs projets (en l’occurrence, celui de la taxe sur les plus-values) en échange de la réforme des allocations de chômage.

Si la réforme du marché de l’emploi est faite du même bois que celle du chômage, à quoi les socialistes pourront-ils la conditionner? «Pour l’instant, c’est 1-1 dans le match opposant Vooruit à la droite dans le gouvernement, arbitre Jean Faniel. Il y a un risque que ça termine à 3-1, 4-1 ou 5-1 en leur défaveur. Dans son entretien au Soir, David Clarinval fait passer le projet de remise à l’emploi des malades longue durée pour une réforme portée et voulue par le ministre de la Santé, Frank Vandenbroucke (Vooruit). A lui de prouver qu’il ne s’agit pas d’un but contre son camp.»

Vous avez repéré une erreur ou disposez de plus d’infos? Signalez-le ici

Contenu partenaire

OSZAR »